« L’Europe se tire une balle dans le pied »

Bernard Streit, Président du groupe Delfingen, équipementier automobile, leader mondial de la protection de câblage
―© DRÀ mon avis, la fin des ventes de véhicules thermiques en Europe est une aberration. L’Europe se tire une balle dans le pied ! C’est la première fois qu’un choix technologique est dicté par une décision politique. Elle va permettre aux constructeurs chinois de supplanter les Européens d’ici cinq ans avec des voitures électriques d’entrée de gamme, de qualité, à 15 000 €. Aucun fabricant français ne pourra s’aligner. Seul le créneau du haut de gamme pourra s’en sortir, ce qui bénéficiera surtout aux constructeurs d’outre-Rhin. Cette décision sera aussi favorable aux industriels allemands de la machine-outil, qui fournissent les fabricants d’automobiles chinois. Espérons que lors du point d’étape prévu en 2026, la clause de revoyure permettra d’éviter ce raz de marée dramatique pour notre industrie automobile. À ce moment-là, des technologies alternatives permettant d'atteindre l'objectif de supprimer les émissions de gaz à effet de serre pourraient être autorisées.
Comment expliquez-vous l’avance des constructeurs chinois ?
La Chine cumule tous les avantages. Son marché intérieur est en forte expansion : 165 voitures pour 1 000 habitants aujourd’hui, 300 dans dix ans, tandis que le marché européen stagne à 550 véhicules pour 1 000 habitants. Ce pays est depuis longtemps le premier fabricant au monde de moteurs électriques pour d’autres applications et bénéficie d’un vrai savoir-faire en matière de batteries. En outre, la Chine domine la production mondiale des terres rares. Autant d’atouts qui lui permettent de s’imposer sur cette technologie disruptive. Enfin, c’est la stratégie affirmée du gouvernement chinois de faire du pays le premier producteur mondial d’automobiles.
Comment les équipementiers français peuvent-ils s’adapter à ce choc industriel ?
Les plus impactés seront les fabricants de pièces mécaniques. Seuls ceux qui ne dépendent pas exclusivement du marché européen pourront s’en sortir, puisque des véhicules thermiques continueront à être vendus sur les autres continents. Les autres n’auront d’autre choix pour survivre que de s’orienter vers des secteurs en forte croissance comme l’aéronautique, le médical, le ferroviaire… Ce qui nécessitera des moyens financiers et humains conséquents. L’enjeu sur l’emploi est considérable, puisque la fabrication d’un véhicule électrique ne nécessite que quatre à cinq ouvriers, contre dix pour un véhicule thermique.