Une main-d’œuvre précieuse confrontée à des défis

TRAVAILLEURS FRONTALIERS DU RHIN SUPÉRIEUR

Sur le territoire du Rhin Supérieur, 90 000 actifs traversent chaque jour la frontière pour exercer leur activité professionnelle dans un pays limitrophe. Ces travailleurs frontaliers, majoritairement alsaciens, demeurent pour l’Allemagne une force vive à bien accompagner.

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Europa-Park Resort emploie 1 300 collaborateurs domiciliés en France, soit 25 % de son effectif total.

Europa-Park Resort emploie 1 300 collaborateurs domiciliés en France, soit 25 % de son effectif total.

© DR

Les travailleurs frontaliers sont à 61 % alsaciens selon les chiffres de la Conférence du Rhin Supérieur* ! Et leurs profils sont divers et variés. « Universitaires, cadres, opérateurs: on y retrouve toutes les classes sociales » confirme Cindy Schäfer, chargée de mission au sein de l’instance de conseil transfrontalière Infobest Kehl/Strasbourg. Un constat partagé par Sylvia Müller-Wolff, conseillère EURES à l’Agentur für Arbeit Karlsruhe-Rastatt: « Les travailleurs frontaliers sont aussi bien des jeunes diplômés que des seniors à la recherche d’une nouvelle opportunité professionnelle ». Bien souvent attirés par les avantages économiques et fiscaux qu’offrent les emplois en Allemagne et en Suisse, ces travailleurs se font de plus en plus nombreux. La Conférence du Rhin Supérieur enregistre en effet une augmentation de + 9 % entre 2012 et 2022.

L’allemand mal maîtrisé

Cependant, malgré des postes et des salaires attractifs, les entreprises allemandes peinent ces dernières années à recruter des travailleurs frontaliers. Et cette pénurie de candidats s’explique par une évolution positive du marché de l’emploi du côté alsacien, une faible différence entre le salaire minimum allemand et français, et des coûts de transport plus élevés. Mais pour Sylvia Müller-Wolff, la langue reste le principal frein. « La langue est la clé pour entrer sur le marché du travail ! Sans un niveau B2, il est difficile de décrocher un emploi en Allemagne » partage-t-elle. Et là où auparavant, le dialecte alsacien était un facilitateur d’intégration, il est aujourd’hui très peu maîtrisé par les candidats… Pour pallier cela, de nombreuses formations en langue allemande sont accessibles via le CPF (Compte Personnel de Formation) et permettent aux plus motivés de gagner rapidement un bon niveau d’allemand.

Des salariés formés

Europa-Park Resort fait partie des plus grands employeurs de travailleurs frontaliers sur le secteur. En effet, l’entreprise compte environ 1300 collaborateurs domiciliés en France, soit 25 % de son effectif total. Ce pourcentage atteint même les 40 % dans le service technique et 35 % à l’univers aquatique Rulantica! Mais pour Christina Jablonski, référente RH pour la France chez EuropaPark, le recrutement d’Alsaciens demeure complexe. « J’ai déjà refusé des candidats au profil technique irréprochable en raison d’un faible niveau en langue allemande. Lorsqu’il est question de sécurité, le candidat doit être opérationnel dès le premier jour » partage-t-elle. Ce niveau d’exigence est moins important dans d’autres services tels que la gastronomie ou encore © DR 6 N° 75 mai - juin 2025 Au-delà du Rhin l’hôtellerie. « La MACK Akademie offre la possibilité aux salariés de renforcer leurs compétences en langues grâce à des cours en présentiel et une application mobile » ajoute Christina Jablonski. Ce dispositif, associé à l’immersion, a déjà fait ses preuves et permet aux salariés d’évoluer au sein de l’entreprise!

Des freins levés

Quelques entreprises essayent de trouver des parades à ces problématiques, en mettant en place des process trilingues s'appuyant sur l'anglais. C’est le cas par exemple de l’entreprise franco-allemande ADDIDATA, spécialisée dans les produits de haute technologie pour l’automatisation et la mesure industrielle. Son dirigeant, René Ohlmann, emploie principalement des ingénieurs, des commerciaux et des logisticiens, tous initiés à la langue de Shakespeare, et grâce à des formations trilingues. Ainsi, il a intégré, de longue date, un process d’onboarding spécifique aux travailleurs frontaliers. « Cela fait partie de notre ADN » complète ce dernier. Également vice-président délégué de la CCI Alsace Eurométropole en charge de la coopération transfrontalière et membre du bureau de l’Industrieund Handelskammer Karlsruhe, René Ohlmann précise que la langue allemande reste la plus employée dans le tissu économique du Bade-Wurtemberg, particulièrement dans les TPE et PME. Ces dernières ainsi que celles d'Alsace pourront à présent plus aisément intégrer des apprentis français ou allemands! En effet, l’apprentissage franco-allemand est facilité depuis le 18 février 2025: un accord** permet aux apprentis français et allemands de réaliser leur formation pratique dans les régions frontalières des deux pays.

Un accompagnement privilégié

Et pour accompagner apprentis comme salariés frontaliers, le lieu ressource transfrontalier Kaléidoscoop, le Service de Placement Transfrontalier (SPT) ainsi que le réseau Infobest proposent leurs services. Si le SPT suit les demandeurs d’emploi souhaitant passer la frontière, Infobest traite des questions spécifiques liées à la fiscalité, à la protection sociale, aux prestations familiales, à l’éducation, à la réglementation ou encore à la retraite. « Nous travaillons en étroite collaboration avec un large réseau de partenaires de part et d’autre du Rhin afin de faciliter les démarches administratives des travailleurs frontaliers » ajoute Cindy Schäfer. D’autres actions plus spécifiques portées par la CCI Alsace Eurométropole ont également une action facilitatrice. C’est par exemple le cas des projets Interreg OrienTEE et Regio Lab, cofinancés par l’Union Européenne, qui cherchent à créer des passerelles entre entreprises et jeunes de la région transfrontalière du Rhin Supérieur.

Publié le 9 juin